L’immigration des Camerounais vers le Canada a connu une augmentation notable au cours des dernières années. Selon le site cicnew.com (Citizenship and Immigration Canada – CIC), en 2023, le Cameroun se classait au 4e rang des pays sources d’immigrants permanents au Canada, avec 11685 ressortissants admis, représentant 2,48% de l’immigration totale cette année-là. En 2024, le nombre de Camerounais admis en tant que résidents permanents au canada a presque doublé par rapport à l’année précédente, atteignant 21 200 individus, soit 4,39% de l’immigration totale. Le Cameroun est le principal pays africain d’origine des immigrants permanents au Québec, occupant la deuxième place mondiale derrière la France, avec 11,8 % des admissions.
L’immigration des travailleurs et des jeunes Camerounais vers le Canada est le résultat d’une combinaison de facteurs économiques, professionnels, politiques et sociaux, accentués par des politiques et des stratégies canadiennes qui privilégient de plus en plus les ressortissants camerounais dans leur politique d’immigration. Le Canada voit donc en l’immigration camerounaise une opportunité stratégique, les facteurs clés étant :
-La formation des Camerounais a la cote sur le marché mondial du travail. Le Canada fait face à une pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs, notamment la santé, l’ingénierie, l’éducation, l’informatique et les services. Contrairement au négativisme ambiant dans certains courants de l’opinion publique camerounaise, les Camerounais sont plutôt réputés être bien formés et constituent une main-d’œuvre immédiatement exploitable au Canada. Ils répondent généralement très bien aux rigoureux aux critères de l’immigration.
·Le bilinguisme des Camerounais est un avantage stratégique qui leur permet une intégration plus rapide dans la société canadienne. Il leur donne plus de points dans le processus d’immigration, un accès facilité aux emplois bien rémunérés, une mobilité accrue entre les provinces francophones et anglophones du Canada.
Les immigrants camerounais ont une bonne réputation en matière de sérieux, de travail et de respect de l’ordre et des lois au Canada. Ils sont perçus comme travailleurs et respectueux des lois, ce qui encourage les autorités à en accueillir davantage ; comme quoi pour les Canadiens, les Camerounais sont bien dressés au pays de Paul Biya ! C’est paradoxalement le système « autoritaire » du pays tant décrié, qui fait des Camerounais une population attractive pour le Canada !
Les principales causes de l’immigration des jeunes et des talents Camerounais vers le Canada sont :
-Economiques : Le Canada est connu pour offrir des environnements de travail plus favorables et de nombreux emplois bien rémunérés notamment dans les secteurs de la santé, de l’ingénierie, de l’informatique et du bâtiment, permettant d’améliorer le niveau de vie. La rémunération des travailleurs est bien plus attractive au Canada qu’au Cameroun.
-Politiques et sociales : Le Canada est un pays plus stable et plus sûr, ce qui attire les travailleurs qui fuient l’incertitude politique ou l’insécurité dans certaines régions du Cameroun. L’accès aux soins de santé, à l’éducation pour les enfants sont des facteurs à considérer.
Pour les entreprises camerounaises, la fuite des talents et des jeunes camerounais vers le Canada a plusieurs impacts négatifs, dont voici les principales conséquences à court-terme:
-Pénurie de main-d’œuvre qualifiée au sein des entreprises : Avec les départs des jeunes talents, le personnel des entreprises camerounaises devient vieillissant sans une relève de qualité assurée ; par ailleurs, le départ des travailleurs expérimentés réduit les compétences disponibles sur le marché du travail local.
-Baisse de compétitivité et de productivité des entreprises : Moins de travailleurs qualifiés au sein des entreprises camerounaises signifie une baisse de la performance et de l’innovation, un manque d’expertise technique.
-Augmentation des coûts pour les entreprises : Il y a un accroissement des dépenses au sein des entreprises camerounaises pour former de nouveaux employés (qui, parfois, partent aussi à l’étranger), pour proposer de meilleures rémunérations et avantages afin de retenir les employés, et pour recruter des expatriés et des experts étrangers.
-Défis accrus pour la fonction gestion des ressources humaines : Face à l’attractivité du Canada, la fonction gestion des ressources humaines au sein des entreprises camerounaises est sous pression, car le turnover devient très élevé, et la fidélisation des employés est plus difficile.
-Apparition d’un nouveau type de risque pour le système bancaire appelé « risque Canada » : de nombreux entrepreneurs, travailleurs des entreprises, et fonctionnaires Camerounais immigrent au Canada en laissant derrière eux des dettes contractées avant leur départ auprès des banques et les établissements de microfinance au Cameroun, sans les rembourser, ce qui est à l’origine d’importants impayés en dizaines de milliards de francs CFA dans le système bancaire camerounais.
Au niveau pays, la fuite des talents et des jeunes camerounais vers le Canada a plusieurs impacts négatifs sur l’économie camerounaise, dont voici les principales conséquences à long-terme :
-La baisse de la capacité d’innovation, avec moins d’ingénieurs, de chercheurs et de spécialistes dans le pays;
-La réduction de l’attractivité du pays pour les investisseurs, la main-d’œuvre qualifiée pouvant être jugée insuffisante.
Pour limiter cette fuite et retenir les talents, les entreprises camerounaises doivent adopter plusieurs stratégies et solutions adaptées à leur contexte :
-Améliorer les conditions de travail : Sans nécessairement égaler les salaires offerts au Canada, les entreprises camerounaises doivent proposer des rémunérations plus compétitives telles que les primes de performance et autres ; Offrir des avantages sociaux attractifs tels que l’assurance santé, les indemnités de retraite, la prise en charge des frais de scolarité des enfants, le transport, etc ; Investir dans des bureaux modernes, des équipements de travail performants.
-Développer des opportunités de carrière : Les employés doivent voir des perspectives d’évolution réelles et rapides ; Offrir des opportunités de promotion et de changement de poste en interne pour éviter la stagnation (mobilité interne).
-Améliorer le leadership et la culture d’entreprise : Instaurer un management bienveillant basé sur l’écoute, la reconnaissance et la valorisation des employés ; Encourager le sentiment d’appartenance à travers des initiatives de team building, de responsabilité sociale et d’engagement des collaborateurs ; Faire participer les employés dans la stratégie et le développement de l’entreprise ; Développer le télétravail ou le travail hybride lorsque cela est possible.
-Mettre en place des programmes de reconnaissance, de récompenses et de fidélisation : Instaurer des primes de performance, le mentorat, le coaching et l’accompagnement des jeunes talents.
-Encourager le patriotisme économique des employés, en les sensibilisant sur l’impact de leur travail sur le développement du pays ; Encourager l’innovation et la création d’entreprises locales.
Au lieu de se mettre en position défensive en voulant combattre l’immigration des jeunes et des talents camerounais à l’étranger et au Canada en particulier (ce qui serait d’ailleurs une entrave à la libre circulation des personnes), le gouvernement camerounais devrait plutôt être à l’offensive en prenant des initiatives pour mettre en place des politiques permettant d’inverser la tendance en incitant les jeunes à rester, et en attirant les Camerounais de la diaspora bien formés et disposés à revenir ou à investir au pays. Pour cela, le gouvernement camerounais devra transformer cette situation qui est vue comme un handicap, en opportunité pour améliorer la compétitivité de son économie et les conditions de vie de ses populations, et être ainsi plus attractif pour les Camerounais eux-mêmes, qui sont reconnus comme profondément attachés à leur pays.
Pour arrêter l’hémorragie de fuite des jeunes et des talents, et favoriser le retour au Cameroun des talents et des entrepreneurs de la diaspora, le gouvernement Camerounais devra :
-Mettre en place des politiques d’incitation à la rétention des talents, telles que des avantages fiscaux pour les entreprises qui investissent dans la formation et la fidélisation des jeunes et des talents ;
-Mettre en place des politiques d’appuis techniques et financiers à l’entrepreneuriat ;
-Mettre en place la politique de double nationalité pour les Camerounais ;
-Développer une politique visant à encourager les Camerounais expatriés ayant acquis une expérience à l’étranger à revenir et à investir au Cameroun, afin maximiser les retombées positives des compétences acquises à l’étranger.
Par ailleurs, dans le cadre de négociations bilatérales, le gouvernement camerounais devra demander des contreparties au gouvernement Canadien pour la spoliation de ses talents formés à coup de milliards de francs CFA. Ces contreparties pourraient prendre la forme de partenariats stratégiques avec le Canada dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des nouvelles technologies, etc.
Emile C. BEKOLO, Expert-Comptable
Managing Partner, Bekolo & Partners