Comment vous sentez-vous dix mois après l’effondrement de l’immeuble R+4 au quartier Ndogbong ?
Psychologiquement, je me sens très mal, très abattu, et même physiquement, parce que j’ai les pieds qui me font mal au quotidien après ce drame. Quand je suis sorti de l’hôpital et après avoir enterré tous les miens qui sont décédés, ma tante m’a accueilli. Elle m’a offert une petite chambre que je partage avec un petit enfant, mais à un certain moment, j’ai commencé à ressentir mal au niveau des pieds malgré le fait que je marchais avec des béquilles. Je ne savais pas la provenance du mal, mais, je savais quand même que c’était par rapport à l’effondrement. Quelques mois après, je me suis rendu à l’hôpital où on a constaté que tous mes nerfs sont foutus au niveau des pieds. Donc, c’est à cette douleur psychologique et physique que je fais face actuellement.
Avez-vous bénéficié d’une prise en charge ?
Non, je n’ai bénéficié d’aucune prise en charge par rapport à ce mal. D’ailleurs que, quand j’étais dans le coma, je n’ai bénéficié d’aucune assistance de l’Etat bien que j’aie vu la vidéo d’une chaine de télévision dans laquelle le maire de Douala 5ème, qui a invité la presse, clamait haut et fort que nous sommes sous une prise en charge totale, les victimes et les décédés. Mais, à ma grande surprise, nous, les victimes, on a créé un forum, personne n’a reçu un franc venant des autorités.
Qu’est-ce qui fait problème ? Un manque d’argent et de moyens pour votre prise en charge ?
Ma prise en charge a été faite par ma propre famille, et il faut reconnaître quand même qu’il y a un élu du peuple, au nom de monsieur Cabral Libii, qui s’est déporté, parce que dans mon quartier, à Edéa, plus précisément au quartier Nkongmondo, quand je compte les victimes, nous étions au nombre de 12, hommes, femmes et enfants. Donc, j’ai été le seul survivant des ressortissants de mon quartier. Donc monsieur Cabral Libii s’est déporté de Yaoundé à Edéa Nkongmondo et après à l’hôpital. Si j’ai reçu l’aide de quelqu’un, c’est lui.
Mais le mal persiste…
Oui, le mal persiste.
Ça veut dire que c’est un mal pour lequel il faut beaucoup de moyens…
Oui, justement, il faut énormément des moyens. Et ces moyens, je ne les ai pas. Parce que, là où je faisais mon petit job, j’ai repris le travail en fin octobre, début novembre. Actuellement, on m’a mis de côté.
Vous faisiez quel job ?
Je travaillais dans la société Panzani. On fait les pâtes alimentaires.
On ne vous a pas repris ?
On m’a repris et on a arrêté mon contrat, il y a de cela un mois [en mars, car la présente interview a été réalisée en mai, Ndlr].
Cela a un lien avec votre état de santé ?
Non. Là… Aucune idée, mais on m’a juste appelé, on m’a dit qu’on ne peut plus reconduire mon contrat. Donc, je ne connais pas les raisons.
Vous avez le sentiment que les moyens de la famille sont épuisés par rapport à votre prise en charge ?
Oui. Ça, il faudrait le reconnaître, les moyens de ma famille sont tellement épuisés, parce que, seule, elle avait plusieurs corps à prendre en charge. Et moi-même, qui étais d’abord la priorité, il fallait me prendre en charge, et chaque personne, comme nous sommes dans une communauté africaine, vous savez, chaque personne a sa charge, et puis, à un certain moment, les membres de ma famille sont épuisés financièrement. Donc, que ceux qui le peuvent, m’apportent de l’aide pour acheter les vêtements, les chaussures et tout.
Et surtout même la prise en charge sanitaire. Il y a certainement des examens…
Oui, sans vous mentir, il y a des examens à faire. Même jusqu’à l’heure actuelle, je dois encore faire plusieurs examens mais je ne peux pas, parce que je suis à court de moyens.
Donc, vous avez des rendez-vous médicaux …
Oui. Parce que, actuellement, même là où je suis assis avec vous, j’ai des oreilles qui font tellement mal.
Qui bourdonnent ?
Oui, qui font tellement mal. Donc, j’ai tout fait, on y a tout mis : des médicaments, des remèdes indigènes, mais rien. Mais, c’est dû à l’effondrement. C’est depuis le drame que j’ai ce mal.
On comprend que, sur le plan psychologique, vous avez du mal à vous reconstruire. Avez-vous trouvé une quelconque astuce pour atténuer l’effet de ce drame sur votre vécu quotidien ? Ou bien, il vous hante ?
Oui, ça hante. Vraiment, ce n’est pas facile de perdre ta femme qui était enceinte, et ta fille de 8 ans, et ton grand frère, toute sa famille. Il y avait aussi mon grand-frère qui habitait son appartement avec sa femme et son fils de 10 mois, et trois vacancières qui étaient du côté de sa femme, et dont deux sont décédées.
Il y a enfin ces dons qui avaient été octroyés aux rescapés par la société Guinness Diageo, et que vous déclarez n’avoir pas perçu. Que vous disent ceux qui ont réceptionné ces dons pour vous les distribuer ?
Nos noms étaient dans les listes comme l’avait demandé la société Guinness Diageo. Celle qui nous parlait à la place du chef – elle serait peut-être sa femme -, nous a dit que nos noms sont arrivés en retard, quand ils avaient déjà envoyé la liste. Ce qui est faux, parce que mon nom a été enregistré avant celui de mon grand-frère qui est décédé. C’est quand mon nom est enregistré, donc que ma tante appelle mon grand-frère, qui avait mis le corps de l’autre grand-frère à la morgue, pour qu’il aille mettre le nom du défunt. Donc lui, il est venu après, mais, à ma grande surprise, mon grand-frère a eu un matelas avec une bouteille de gaz Tradex.
Votre grand-frère est mort sur le coup ?
Il est mort sur le coup, mais, la Guinness a dit « y compris les décédés, y compris les survivants, mais plus les survivants », parce que ce sont les survivants qui étaient prioritaires. A ma grande surprise, on a vu d’autres personnes qui ne faisaient pas partie de l’effectif, qui n’avaient aucun lien avec le drame, mais qui ont reçu des dons.
Des bénéficiaires qui n’étaient même pas des habitants de l’immeuble ?
Oui. Ils n’avaient même personne qui habitait dans l’immeuble, mais ils ont reçu quelque chose.