Les faits sont glaçants. Ce jour-là, Dagobert Nwafo, 47 ans, aurait eu une vive altercation avec Paulin Wandji, le père de Mathis, dans un bar de Yaoundé. Après cette dispute, il serait retourné chez lui, aurait pris un couteau, et se serait rendu au domicile de Wandji. Là, selon l’accusation, il aurait poignardé l’enfant à mort. L’acte est qualifié d’« assassinat », un crime puni de mort par l’article 276 du Code pénal camerounais lorsqu’il est commis avec préméditation.
Cette qualification implique non seulement une volonté de tuer, mais aussi une préparation du geste. Si cette version est retenue jusqu’au jugement final, Dagobert Nwafo pourrait être condamné à la peine capitale. À l’heure actuelle, il est placé en détention provisoire pour six mois à la prison centrale de Kondengui, en attendant son procès prévu après le 27 novembre 2025.
Le meurtre d’un enfant est toujours une tragédie, mais dans ce cas précis, il a déclenché une vague d’émotions sans précédent. Les réseaux sociaux, les médias, les citoyens anonymes, les personnalités publiques et même les artistes se sont emparés de l’affaire. Ce qui n’était, à l’origine, qu’un drame familial est devenu une affaire d’État. Une grande partie de la population s’est sentie concernée, touchée, voire trahie.
Des mères de famille vêtues de noir ont manifesté devant le commissariat pour réclamer justice. Lydol, la fille du présumé assassin, chanteuse et slammeuse populaire, a exprimé sa tristesse et sa solidarité avec la famille du petit Mathis, allant jusqu’à annuler ses concerts à Yaoundé et à Paris. En parallèle, des voix s’élèvent pour dénoncer la lenteur de la procédure judiciaire. Dix-huit jours après les faits, l’assassin présumé n’était toujours pas écroué. La tension montait, l’opinion publique s’impatientait.
Le poids de la célébrité et des réseaux sociaux
L’implication indirecte d’une célébrité comme Lydol, bien qu’innocente et étrangère aux faits, a accentué la médiatisation de l’affaire. Cela a permis de sensibiliser davantage, de donner une visibilité plus grande à la quête de justice, mais aussi de poser une question douloureuse : que se serait-il passé si l’agresseur présumé n’avait pas été le père d’une artiste connue ? La célébrité a, ici, servi de catalyseur médiatique, mais elle révèle aussi une inégalité face à la médiatisation des faits divers.
Les réseaux sociaux ont joué un double rôle. D’un côté, ils ont permis une mobilisation rapide, massive, en apportant soutien à la famille de la victime. De l’autre, ils ont alimenté des rumeurs, des fausses nouvelles, et mis en danger le respect de la procédure légale. Le préfet du Mfoundi, Emmanuel Mariel Djikdent, a d’ailleurs dénoncé cette tendance, appelant à se fier aux faits établis par les autorités compéte
Les réseaux sociaux ne sont pas la bonne source
Le préfet du Mfoundi, Emmanuel Mariel Djikden
L’affaire Mathis met crûment en lumière les lenteurs de la justice camerounaise. Si l’enquête préliminaire a officiellement duré 18 jours, ce délai a été vécu comme un affront par une population déjà habituée aux procédures interminables. Le préfet a tenté de justifier cette attente par la nécessité de poser des actes procéduraux, notamment l’autopsie du corps de l’enfant. Mais cela n’a pas suffi à calmer les esprits.
L’opinion publique, déjà échaudée par d’autres affaires laissées sans suite, redoute que cette affaire ne connaisse le même sort. L’écart entre la gravité des faits et la lenteur des procédures accentue un sentiment d’impunité. Des députés, des activistes et des artistes ont alors joint leurs voix pour exiger une justice rapide et exemplaire.
Ce drame interpelle toute notre société. Il faut que justice soit rendue, sans délais et sans favoritisme.
Le député Cabral Libii
Une tragédie révélatrice
Le cas de Dagobert Nwafo se retrouve aujourd’hui dans une phase critique. Il a reconnu partiellement certains faits devant le procureur, notamment le fait d’avoir pris un couteau et d’être entré dans le domicile de Paulin Wandji. Mais il évoque une « amnésie traumatique » pour le reste des faits. Une stratégie de défense classique dans des cas où les preuves sont accablantes mais où l’accusé tente de jouer sur son état mental pour atténuer sa responsabilité.
Pour l’heure, les éléments à charge sont considérables : altercation préalable, acquisition de l’arme du crime, intrusion dans un domicile privé et coups portés à un enfant sans défense. L’autopsie a confirmé que les coups étaient mortels, ce qui a renforcé l’argument de la préméditation. La suite de la procédure dépendra de la capacité des enquêteurs à reconstituer les faits avec précision et de la volonté politique de ne pas laisser cette affaire s’enliser.
Au-delà du drame individuel, l’affaire Mathis révèle plusieurs maux qui gangrènent la société camerounaise. D’abord, la banalisation des violences entre adultes, parfois devant ou au sein des familles. Ensuite, la faiblesse du système judiciaire qui peine à répondre à l’exigence de justice rapide. Enfin, une détresse sociale profonde : ce crime trouve sa racine dans une dispute futile entre deux hommes, transformée en acte irréversible. Le meurtre de Mathis n’est donc pas seulement le résultat d’une colère incontrôlée, mais aussi le symptôme d’un mal plus vaste : la déshumanisation progressive des rapports sociaux. Quand un différend se règle par le sang, que reste-t-il du tissu social ? La société camerounaise doit impérativement se poser cette question.
Il faut le souligner que le peuple camerounais ne s’est pas contenté d’assister passivement à ce drame. La société civile, les mères de famille, les artistes, les journalistes, ont refusé le silence. Le meurtre du petit Mathis a suscité une mobilisation salutaire, celle d’un peuple qui refuse de banaliser la barbarie. Demilliers de voix se sont élevées pour dire : « Plus jamais ça ! » …
Ce réveil populaire est peut-être le point d’ancrage d’une transformation plus profonde : celle d’une société qui exige que chaque vie compte, que chaque crime soit puni, et que plus aucun enfant ne soit sacrifié sur l’autel de la vengeance ou de la négligence. Le sort de Dagobert Nwafo sera scellé dans les mois à venir. Mais au-delà du verdict judiciaire, c’est celui de la conscience collective qui est déjà en marche. L’enfant Mathis est mort, mais il est devenu un symbole. Un symbole de la fragilité de l’enfance, de la violence domestique, de l’inertie judiciaire et du pouvoir de mobilisation citoyenne.