Cédric, 25 ans, ingénieur télécoms de formation, ne commence jamais sa journée sans avoir coché ses pronostics.
C’est devenu automatique. Je consulte les cotes, j’analyse les rencontres, je parie… Et j’espère.
Mais ce 1er avril 2025, le sort ne lui est pas favorable.
Quand tu perds, c’est comme une claque. Parfois, c’était l’argent de la pension, regarde aujourd’hui, c’était mon argent de repas, je ne sais même pas ce que je vais manger aujourd’hui. Bref, la prochaine fois sera la bonne.
Comme Cédric, Wilfried Yomba, étudiant en biochimie, a commencé à parier au lycée. Pour lui, c’est un filet de secours financier, mais aussi, un cercle vicieux.
On ne va pas se mentir, on espère toujours le gros gain. Mais plus tu perds, plus tu veux rattraper. Et ça finit souvent mal. » Il se souvient avec amertume du jour où il a misé les 6 500 francs CFA qu’il devait envoyer à sa mère malade. « Je voulais doubler la somme… J’ai tout perdu. Et quand elle m’a appelé, je n’avais plus rien à lui donner.
Les histoires comme celles de Cédric et Wilfried sont nombreuses. Pour certains, les paris deviennent une habitude ancrée dans leur quotidien. Ils commencent par de petites mises, puis, poussés par l’illusion du gain facile, ils augmentent progressivement les sommes pariées. Ce qui devait être un simple jeu se transforme en un véritable engrenage malsain.
Il m’est déjà arrivé plusieurs fois de fouiller dans les poches de mon père pour parier. Ce n’est pas de ma faute, je ne sais pas ce qui m’arrive souvent,
confesse Astride, une footballeuse.
Si autrefois, les jeunes se pressaient dans les kiosques de paris, l’avènement des applications mobiles a changé la donne. Désormais, il suffit d’un téléphone et d’une connexion Internet pour miser en toute discrétion.
Avant, il fallait se rendre sur place, maintenant, tout est à portée de clic. On joue partout, en cours, dans le bus, au lit avant de dormir…»,
explique Jean-Marc, un autre habitué des mises.
Cette facilité d’accès a renforcé l’addiction, d’autant plus que les sites de paris en ligne offrent des bonus alléchants pour inciter à toujours rejouer.
Les campagnes publicitaires agressives accentuent également le phénomène. Partout, sur les réseaux sociaux, dans les médias, les célébrités et influenceurs vantent les mérites des paris sportifs.
Ils nous montrent des gens qui gagnent des millions, mais ils ne nous disent pas combien ont tout perdu,
déplore Cédric.
Des dangers sous-estimés
Selon la psychologue, Sonia Kouepou, l’engrenage des paris sportifs repose sur un mécanisme bien connu :
Le cerveau déclenche un circuit de récompense qui pousse à rejouer encore et encore, jusqu’à ce que la sensation de satisfaction soit comblée. » Mais souvent, elle ne l’est jamais. «Ce sont les mêmes symptômes que pour d’autres addictions : nervosité, palpitations, anxiété… Certains peuvent aller jusqu’à voler pour continuer à jouer,
précise-t-elle.
La détresse causée par les pertes financières est une réalité préoccupante. Certains jeunes s’endettent auprès de leurs proches, d’autres sombrent dans la dépression ou l’isolement. Les conséquences psychologiques sont parfois graves, avec des cas de suicides rapportés. Pour alerter sur ces risques, le ministère de la Jeunesse a lancé des campagnes de sensibilisation dans les écoles. Mais dans un pays où le taux de chômage des jeunes dépasse 60%, ces initiatives peinent à convaincre.
Quand tu n’as pas d’autres solutions pour avoir de l’argent, même si tu sais que c’est risqué, tu continues,
admet Jean-Marc.
Derrière cette frénésie des paris, l’industrie du jeu prospère. Les entreprises de paris sportifs enregistrent des chiffres d’affaires colossaux, tirant profit de l’engouement des jeunes. Dans les quartiers populaires, les kiosques de paris se multiplient, attirant toujours plus de joueurs. Alors que les bookmakers engrangent des profits faramineux, les joueurs, eux, s’appauvrissent. Certaines voix s’élèvent pour réclamer une régulation plus stricte du secteur.
L’État doit prendre ses responsabilités et encadrer cette activité, en limitant par exemple l’accès aux mineurs, et en imposant des restrictions sur la publicité,
estime Junior Tagne économiste.
Trouver des alternatives
Face à l’ampleur du phénomène, les experts recommandent des solutions concrètes. « Il faut proposer aux jeunes d’autres moyens de gagner de l’argent, des formations, des opportunités », plaide la psychologue.
Ce sont des enfants ou bien des personnes qui ne se sont pas sentis en sécurité très tôt. Qui n’ont pas été accompagnés convenablement. C’est des personnes aussi qui peuvent se retrouver dans d’autres formes de pathologies. C’est-à-dire que quelqu’un peut faire une dépression, et pour essayer de se sortir un peu de cette dépression-là, il peut se retrouver en train de, soit jouer, soit consommer un produit,
continue la psychologue.
Certaines initiatives tentent d’encourager les jeunes à investir leur argent autrement. Des associations proposent des formations à l’entrepreneuriat, tandis que certains influenceurs commencent à sensibiliser sur les dangers des jeux d’argent.Mais en attendant, dans les rues de Yaoundé et d’autres grandes métropoles du Cameroun, les kiosques de paris ne désemplissent pas. Et pour beaucoup, l’espoir d’un jackpot continue d’alimenter l’illusion d’un avenir meilleur. Entre espoir et désillusion, la fièvre des paris sportifs ne semble pas prête de s’éteindre.