Impossible de circuler dans la ville de Yaoundé sans apercevoir des tas d’immondices. Que ce soit à Biyem-Assi, à Damase ou encore à Barrière, la chaussée a remplacé les bacs à ordures. Le passage réservé aux automobilistes s’apparente désormais aux pistes. Les ordures qui ont débordé les bacs sont exposées sur les routes. Une situation qui rend difficile la circulation des voitures et des motos. Franck Romaric est conducteur de moto sur cet axe. Depuis plusieurs semaines, le jeune homme évite certaines destinations proposées par des potentiels passagers.
Aujourd’hui, je suis obligé de travailler avec le masque et j’évite certaines destinations. Quand un client me stoppe en route, je me rassure que je ne rencontrerais pas les poubelles sur ma route. Si tel est le cas, je n’accepte pas la destination. C’est vrai que ça réduit un peu les recettes journalières, mais c’est mieux que les maladies auxquelles on s’expose,
explique Franck Romaric Mickael, moto taximan.
Du sable dans la soupe
Les ordures qui jonchent les trottoirs portent atteinte aux bénéfices des coins de restauration installés aux alentours. À Damase par exemple, la poubelle a bloqué le passage qui mène au « tournedos » de maman Olga. Les mouches prennent d’assaut le lieu de restauration. Depuis l’accumulation de cette montagne d’ordures, les bancs et les tables couverts de gerflex bleu sont de plus en plus vides. Les clients n’affluent plus. Cet état de fait porte atteinte aux recettes de la tenancière.
Je suis une commerçante et je me bats ici. La poubelle que vous voyez plombe mon activité de restauratrice. Tous mes clients sont partis à cause des mouches et des mauvaises odeurs qui se dégagent du dépotoir là. Nous payons les impôts et les services d’hygiène pour avoir ce genre de cas. Vraiment… on ne comprend pas comment on n’arrive pas à les enlever. Les ordures ont même déjà bloqué l’entrée de la boutique de mon voisin. Avec cela, qui viendra encore manger chez moi ?,
s’interroge Olga, propriétaire d’une boutique de restauration.

Le foyer des infections
Plus loin, à environ un kilomètre de là, la situation est similaire. Il est difficile de circuler sans se boucher le nez. Une odeur nauséabonde se dégage de cette « montagne ». Des mouches qui y émergent s’invitent dans les ménages. Des foyers de moustiques naissent çà et là, favorisant l’exposition des populations à diverses infections. Noelline en a fait les frais.
L’atmosphère est insupportable ici. Les odeurs qui sortent de la poubelle nous empêchent pratiquement de respirer. Ces ordures-là favorisent la naissance des moustiques qui nous donnent du paludisme tout le temps. C’est de trop,
lance Noelline Mbezele, habitante du quartier Damase.
Comme elle, Arthur partage une expérience peu glorieuse avec les poubelles dans le quartier.
C’est vraiment compliqué. À la maison comme en route, on ne respire pas. Il m’arrive souvent de vomir après avoir inhalé les odeurs issues des poubelles. J’étais à l’hôpital avec mon petit frère, le personnel soignant nous a questionnés sur l’hygiène de notre environnement. La vie ici est devenue insupportable, mais on est obligé de faire avec,
laisse entendre Arthur Ndzana.
Le pari de la prévention
Les ordures constituent un foyer pour le développement des bactéries et virus divers. Les populations vivant près des dépotoirs qui jonchent les rues de la capitale s’exposent à des pathologies comme le choléra, les hépatites virales, les gastroentérites (typhoïde, etc.) et les maladies liées à une hygiène douteuse.
Il existe des vecteurs comme les mouches par exemple qui peuvent transporter les pathologies des ordures vers la maison, et de ce fait, rendre malades les personnes vivant à proximité des poubelles. Pour limiter les risques d’infections, ils doivent pratiquer une bonne hygiène des mains, une bonne hygiène de cuisine,
conseille le Dr Eunice Kenfouo, médecin généraliste en service à l’hôpital de district d’Efoulan.

Un combat perdu d’avance ?
L’exécutif de la ville est bien conscient de cette réalité. À la Communauté urbaine de Yaoundé, le doigt accusateur est pointé vers les lenteurs administratives.
La situation qui prévaut à Yaoundé aujourd’hui a deux explications. La première, c’est que le précédent contrat de recrutement des opérateurs que sont Hysacam et Thychlof est à échéance, le 31 décembre 2023. Un appel d’offres pour le recrutement de nouveaux opérateurs a été lancé. Cela suppose que Hysacam peut encore postuler et être retenu. La procédure a trainé dans les administrations en charge du processus de recrutement des opérateurs : la commission en charge des marchés à la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) dont les membres ne sont pas nommés par le maire de la ville et la commission centrale de contrôle des marchés publics (…) la procédure a trainé si bien que pendant un an, aucun opérateur n’avait un contrat à Yaoundé,
explique Dominique Mbassi Onana, chef de la cellule de communication de la CUY.
À ce jour, les communes d’arrondissements de Yaoundé III et VI n’ont pas d’opérateurs. À l’origine de cette situation, la division de la capitale camerounaise en quatre lots. Trois de ces secteurs ont été déclarés fructueux et attribués à Hysacam. À contrario, le lot trois a été déclaré infructueux. Ce dernier lot comprend la commune de Yaoundé III et celle de Yaoundé VI. Selon les données officielles, Yaoundé a besoin de 16 milliards de Fcfa pour se débarrasser de ses poubelles. Problème, les fonds réunis par les deux acteurs qui règlent la note (ministère des Finances, 85% et CUY, 15%) n’atteignent pas la moitié du montant nécessaire. Une question subsiste alors : Yaoundé remportera-t-elle un jour le prix de ville propre…