Aujourd’hui, Atangana Atangana Désiré, alias Saint Désir Atango, est en détention préventive à la prison de Mfou jusqu’au 2 décembre 2025. L’enquête se poursuit, mais l’affaire a déjà marqué un tournant dans la conscience nationale. Derrière l’artiste jadis adulé du Bikutsi, se dessine désormais un personnage aux discours messianiques, dont les agissements ont plongé l’opinion dans un profond malaise. L’affaire a pris une ampleur nationale, déclenchant une onde d’indignation et de questionnements sur la protection des victimes, les dérives sectaires, et les failles de notre système social.
C’est un témoignage qui a bouleversé les premières lignes de l’enquête. Alida Atangana, l’une des filles de l’artiste, auditionnée le 4 juin, a révélé avoir été abusée sexuellement par son père sous la menace d’une machette. Un aveu enregistré par la journaliste Cathy Yogo pour le journal « Le Jour », confirmant les soupçons d’inceste. Quelques jours plus tôt, la fille de Saint Désir Atango affirmait sur les réseaux sociaux avoir consenti à cette relation et défendait son père :
Il m’a fait un très beau bébé, et je ne sais pas pourquoi on le retient à la légion
Cette ambiguïté, perçue par les enquêteurs comme le signe d’une forte emprise psychologique, s’est révélée centrale dans l’affaire. Saint Désir Atango se présente depuis plusieurs années comme le « Christ noir », une figure spirituelle censée guider les siens vers une libération culturelle et religieuse. Une doctrine floue, aux relents sectaires, qui semble avoir servi de justification à ses actes, notamment selon ses propres termes : « purifier le sang africain » et « affranchir l’Afrique des dogmes coloniaux ».
Face au choc de l’opinion, le Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (MINPROFF) a rapidement réagi. Dans un communiqué publié le 3 juin, l’institution a condamné fermement les actes reprochés à l’artiste, les qualifiant de « violations flagrantes de l’article 361 du Code pénal camerounais ». Selon les informations collectées par notre rédaction, la ministre Marie-Thérèse Abena Ondoa précise :
Le Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille condamne avec la plus grande fermeté cet acte odieux et inacceptable, qui porte atteinte à la dignité et à l’intégrité des personnes, en particulier des enfants et la jeune fille. Aussi, tout en réaffirmant notre solidarité envers toutes les victimes d’inceste et leurs familles, nous saisissons cette occasion pour encourager les victimes de tels actes à dénoncer leur bourreau. Nous réitérons l’engagement du gouvernement, sous la très haute impulsion du Chef de l’Etat, à prévenir et à combattre ce phénomène afin de garantir l’harmonie et la stabilité dans les familles. La famille reste et demeure le socle fondamental de notre société.
Marie-Thérèse Abena Ondoa
Un système de manipulation mis en place
La mère des jeunes filles, dame Bédzissa Léonie, est aujourd’hui terrifiée. Elle aurait même signalé faire l’objet d’intimidations depuis l’éclatement de l’affaire. Selon nos sources introduites, ses relations avec Saint Désir Atango s’étaient fortement dégradées avant le départ de celui-ci pour l’Europe, au début des années 2010. Le motif de leur séparation n’a pas été détaillé, mais ne serait pas lié directement à l’affaire actuelle.
L’enquête judiciaire révèle l’existence d’un isolement progressif des filles. Les faits reprochés sont qualifiés d’inceste selon le Code pénal camerounais. L’article 360 prévoit une peine de 1 à 3 ans de prison et une amende de 20 000 à 500 000 FCFA, indépendamment du consentement. Un cadre juridique qui peut paraître léger au regard de la gravité sociale du dossier. L’affaire suit son cours et les autorités se montrent pour l’instant discrètes sur les suites de l’instruction. Ce mécanisme de domination a été analysé par la psychologue Sonia Kouepou :
Ce type d’affaire illustre une configuration de soumission où la parole de l’agresseur devient la seule vérité. Les victimes, souvent très jeunes au moment des premiers abus, finissent par confondre l’amour, la foi et la violence. On observe une confusion des rôles, doublée d’un silence social qui nourrit la culpabilité.
Au-delà des faits, cette affaire expose un traumatisme collectif. Pour Lovelyne Guidjock, sociologue, les impacts sociaux et culturels sont multiples :
Cette affaire remet en question les modèles familiaux et religieux traditionnels. Le Cameroun est une société où le respect de l’autorité parentale est quasi sacré. Lorsqu’un père devient l’auteur de tels actes, cela trouble profondément les structures morales. Les croyances manipulées, ici instrumentalisées, peuvent aussi entraîner une méfiance généralisée envers toute forme de spiritualité locale.
Selon elle, les conséquences sont également générationnelles : le poids du silence, la honte, la peur d’être stigmatisé… tout cela freine la libération de la parole, en particulier chez les enfants victimes d’inceste, souvent réduits au silence dans les milieux familiaux ou communautaires. Interrogée sur les réponses concrètes du système, Lovelyne Guidjock insiste sur l’urgence d’une stratégie multisectorielle :
Il faut une meilleure coordination entre les ministères, les écoles, les centres sociaux, et les leaders communautaires. Le renforcement des cellules d’écoute, la formation des enseignants à détecter les signaux faibles, l’intégration de modules sur les violences sexuelles dans les programmes scolaires, sont autant de leviers indispensables.
Une affaire à multiples facettes
Les ramifications de l’affaire vont au-delà du cadre judiciaire. Saint Désir Atango est également engagé dans des projets politiques, comme le réaménagement du lac Akak ou la chefferie d’Ebang. Certains de ses partisans dénoncent une « cabale politique », mais les preuves accumulées dans le dossier mettent surtout en lumière une série d’abus systématiques, soutenus par une idéologie personnelle délirante. L’avocate Me Émilie Keng rappelle :
L’État a le devoir de protéger ses citoyens, surtout les plus vulnérables. La justice a pour mission de protéger ces femmes victimes de maltraitances graves, notamment lorsque l’une est enceinte des suites de ces abus
Derrière la polémique et les prises de position publiques, des vies sont profondément brisées. Plusieurs universitaires ont qualifié cette affaire de « manifeste de l’horreur », rappelant que les luttes idéologiques ou spirituelles ne sauraient jamais justifier des crimes aussi graves.
La suite de la procédure judiciaire est donc attendue avec attention, alors que la société civile, les défenseurs des droits humains et l’opinion publique réclament justice pour Alida Atangana et toutes les victimes de violences incestueuses au Cameroun. Le silence qui avait permis à ces abus de durer semble enfin brisé. Plus qu’un fait divers, cette affaire pose une question fondamentale : comment reconstruire une société qui a longtemps fermé les yeux sur l’indicible ?