Baba Souley, 32 ans, vit dans la rue depuis qu’il a 22 ans. Il passe son temps entre les villes de Yaoundé et Douala. Dans ces deux villes, il connait tous les coins où vivent des personnes qui sont la même situation que lui. Deux cicatrices saillances de près de 10 cm chacune sur sa joue droite, des cheveux crépus, un teint noir foncé, des lèvres fortement noircies, il arbore un short et un t-shirt noir en mousseline, lorsque nous le rencontrons au lieudit Hippodrome, dans la ville de Yaoundé.
Il nous embarque alors dans un « terre », c’est-à-dire, un espace de vie avec des maisons faites de matériaux de fortune, où séjournent des jeunes de la rue, communément appelé les « mboko ». Il révèle alors qu’il a quitté le cocon familial à cause de nombreux soucis. Depuis ce temps, il vit un quotidien parsemé de difficultés. Dans la société, il se sent écarté.
Quand j’ai un souci et je me rapproche de personnes pour leur en faire part, on ne m’accorde pas d’attention. Cela me met vraiment mal à l’aise,
raconte-t-il, d’un air morose.
Déjà 10 années qu’il vit dans la rue. Ce qui l’a poussé à s’y retrouver, ce sont des soucis familiaux.
Je quitte la maison pour me retrouver dans la rue car, il y avait beaucoup de choses qui ne donnaient pas, et il y avait beaucoup de soucis à la maison.
raconte-t-il.
Issu d’une famille modeste, et ayant fait une formation professionnelle en installations sanitaires pendant deux années, Souley dit avoir pour philosophie « celui qui ne travaille pas ne mange pas ». Exposé à la famine et à la souffrance quotidienne, il s’est lancé depuis plusieurs années à la recherche d’un emploi stable et décent.
Tout le monde ne peut pas supporter cette vie du dehors, on se bat de tous les côtés. J’ai essayé de déposer des demandes d’emploi partout, malheureusement ça n’a pas donné
précise-t-il.
Ce, en dépit de ses compétences acquises à l’école :
Partout où elles pouvaient être acceptées, elles ont été refusées car, on dit que nous sommes de la rue, et de ce fait, on ne nous considère jamais. Nous avons des compétences, moi par exemple, je suis un plombier, mais rendez-vous compte que malgré ma formation, je reste sans rien faire. Est-ce cela normal ? Regardez où nous vivons, regardez l’état des lieux, nous vivons ainsi mais, ce n’est pas de notre volonté, ce n’est que Dieu. Et chaque fois nous recevons des « kankan » promesses disant qu’on va changer nos vies, qu’on nous trouvera des emplois, nous acceptons toujours puisqu’un homme doit toujours espérer.
avoue Souley
Un espoir, qui semble ne jamais se réaliser pour ce jeune homme, désormais lassé.
Au final, avec cet espoir, ça devient qu’on ne nous voit même plus, et après ça, on ne fait que nous raconter le futur. Lorsque tu vas dans une entreprise ou un autre milieu, et on te refuse l’emploi, tu vas vivre comment ? Tu vas dormir comment ? Le cœur sera comment ? Donc, c’est à cause de ça que tu vois la rue amène beaucoup de gens dans les soucis. Trop de soucis…au final, qu’est-ce qui peut te calmer ? Rien !,
affirme-t-il, écœuré.
Les journées de Souley, raconte-t-il, sont souvent marquées par l’oisiveté.
C’est à cause de ça que tu vois parfois, on saoule, on reste, on fait du n’importe quoi, tout simplement parce qu’on n’a rien. Qu’est-ce qui nous pousse à le faire ? C’est la famine et le chômage. Or, si les jeunes étaient là chacun avec sa fonction, un emploi, est-ce qu’on pourrait se trouver ici ?
s’interroge-t-il.
Au Cameroun, les services du ministère des Affaires sociales (Minas) en partenariat avec le PNUD, avaient élaboré une cartographie basée sur une collecte de données, identifiant près de 2000 jeunes et enfants vivant dans la rue à Yaoundé, Douala et Ngaoundéré. Des chiffres qui seraient bien plus importants, selon des observateurs. À Yaoundé, ces jeunes vivant dans la rue occupent en permanence les grandes avenues ; les artères commerçantes du centre-ville ; les marchés ; les gares routières et ferroviaires. Ces espaces publics se transforment pour eux en points de repère et en points d’ancrage dans la ville. Démunis pour la plupart, ils s’adonnent parfois à des actes répréhensibles. Une expérience que Souley observe au quotidien,
C’est à cause de ça que tu vois dans la rue certains jeunes s’adonnent au vol et aux mauvaises pratiques,
indique Baba Souley.
Les stupéfiants, la mort
La nuit tombée, s’ils ne déambulent pas aux abords des bars et des boîtes de nuit, les jeunes sans domiciles vivant dans la rue se rassemblent à proximité de leurs lieux de « travail », dans des terrains en friche ou à l’abri d’un auvent éclairé d’un magasin. Parfois, ils se réfugient, moyennant un peu d’argent, auprès d’un gardien, dans un bus stationné à la gare. L’une des activités les plus courues dans ce milieu, c’est la consommation des stupéfiants.
Quand on est dans la rue, on est obligé de prendre des stupéfiants comme le fighter ; la drogue ; le caillou ; la taille ; les comprimés ; les boissons, ça fait oublier les soucis dans nos têtes. On se dit que ça va nous faire oublier les soucis pour ne pas trop penser, et c’est comme ça qu’on se noie,
affirme le jeune Souley.
Des stupéfiants, dont les conséquences sont ravageuses.
Tu vas entendre un jour qu’un jeune est mort dans la rue. Si tu regardes de quoi il est même mort, c’est simplement à cause des trucs banals comme une bagarre favorisée par la consommation des stupéfiants.
reconnait-il.
Aujourd’hui, Baba Souley cherche à changer sa situation de vie. Son rêve est de construire une famille et de vivre en harmonie dans la société :
je souhaiterais vraiment que dans ce pays, on essaye aussi de voir les problèmes des jeunes. Avant de me retrouver dans la rue, j’ai fait plus de dix demandes d’emploi, mais ça n’a jamais abouti. C’est toujours dans la promesse et le futur, ce qui me fait réellement de la peine. Je n’apprécie pas rester comme ça. J’ai aussi envie d’avoir une famille, et aujourd’hui, si ça ne donne pas, on fait comment ?,
s’interroge-t-il.