Il a fallu l’intervention salutaire du chef du district de santé de Bonassama, dans le quatrième arrondissement de Douala, pour que Karen Magone Machia, 24 ans, soit autorisée à sortir de l’hôpital catholique Saint Albert Le Grand, où la primipare avait donné la vie à une fille deux mois plus tôt.
Ce jeudi-là, j’étais dehors (…) Le directeur de l’hôpital de district est arrivé et a demandé qu’on sorte la facture pour qu’il signe afin qu’on me laisse partir. Quand il a signé ma facture, je suis sortie vendredi [le lendemain], aux environs de 16h,
raconte la jeune femme, émue, bien que peu épanouie.
Karen Magone Machia était retenue depuis deux mois dans cette formation hospitalière confessionnelle, faute d’argent pour payer sa facture de 219 450 FCFA comprenant entre autres les charges post-césarienne.
Je n’avais pas les moyens de sortir. Ils ont changé ma salle. Ils m’ont installée avec mon bébé dans une autre salle, là où les femmes sont en travail. Des fois, quand les femmes venaient, nombreuses, pour accoucher, on me demandait de retirer mon drap. Je le plie, je dépose mon pied derrière jusqu’à ce que la femme en travail accouche. Ce n’est qu’après son accouchement que je reviens dans la salle pour remettre mon drap et me coucher,
raconte-t-elle.
Le bébé de Karen Magone Machia partageait le lit d’accouchement avec la nouvelle patiente pendant que cette dernière était en travail, nous apprend la parturiente. Le nouveau-né était alors couché derrière la femme en travail jusqu’à ce que cette dernière parvienne à la délivrance.
J’avais fait sa petite place avec le drap. Il était derrière et la femme se couchait devant,
confie Karen en larmes.
Une césarienne accidentelle
Pourtant, au début de la grossesse, rien ne présageait d’un accouchement qui se compliquerait. Pendant qu’elle effectue sa formation en couture dans un atelier, au quartier Makèpè Missokè, où elle partage une chambre à coucher avec le père de sa fille, la jeune femme fait ses petites économies, dans la perspective qu’elle sera prête le jour de la délivrance par voie normale. Elle réussit à économiser la somme de 80 000 FCFA nécessaire pour un accouchement normal.
Quand j’étais enceinte, je faisais mes visites. Ça n’avait pas montré que je devais accoucher par césarienne. Quand je suis arrivée, le jour de mon accouchement, j’ai été informée qu’on devait m’opérer. Après mon opération, l’hôpital m’a prise en charge jusqu’à ce que ma blessure cicatrise bien. Après, il y a eu un manque de moyens. Le peu d’argent que j’avais économisé – puisque je me battais pour pouvoir épargner en prévision de mon accouchement –, je l’ai versé, mais ça ne suffisait pas. C’est ça qui a fait que je reste à l’hôpital avec mon enfant,
précise-t-elle.
Après l’accouchement par césarienne, le plus dur est à venir
Alors que la grossesse de Karen arrive progressivement à son terme, son copain lui apprend que sa tante doit séjourner dans leur chambre pendant environ deux semaines. Aussi prie-t-il sa compagne Karen, enceinte, de quitter la maison juste le temps de ce séjour. La jeune femme s’exécute et est accueillie chez son grand-frère au quartier Bonabéri, dans l’arrondissement de Douala 4ème.
L’apprentie coiffeuse est alors loin d’imaginer la supercherie de son homme, qui a pourtant fait le premier pas, auparavant, en se rendant chez les parents de sa « fiancée » pour les rassurer au sujet de son union avec leur fille. Ce que l’on appelle couramment « le toquer porte » dans le jargon camerounais. Alors qu’elle ressent les premières contractions, Karen et ses proches appellent l’auteur de sa grossesse, qui promet d’abord de se présenter à l’hôpital avant de se rendre par la suite injoignable.
Ainsi abandonnée à son sort, Karen est obligée de s’occuper toute seule de son accouchement, qui ne se déroule plus comme initialement prévu. Ce sera un accouchement par césarienne. Entre temps, la mère de la jeune femme est décédée. Après les obsèques, elle est répudiée par son propre frère qui l’hébergeait jusque-là à Bonabéri. Son propre copain qui, lors de leur dernière conversation, l’avait informée que le séjour de sa tante dans leur chambre s’était prolongé (à l’infini !), ne l’a plus contactée depuis des mois.
Le plus dur est donc à venir pour cette orpheline de père (son géniteur est décédé il y a trois ans) et de mère, qui squatte désormais une chambre avec une amie, dans une maison en planches située sur la route menant à l’abattoir de Bonabéri, loin des siens. A la question de savoir comment elle gère le quotidien, sans ressources financières, avec son bébé, elle répond :
Je ne peux pas dire que je mange, mais on essaie de jongler. Souvent, on reste toute la journée, et c’est le soir qu’on mange. Souvent, on mange le matin jusqu’au lendemain. J’ai besoin d’aide,
supplie-t-elle les cœurs sensibles.