Au Cameroun, le ratio entre l’effectif de la population et le nombre de médecins mis à leur disposition est plus qu’alarmant : pour 1000 habitants, il n’existe qu’environ 0,6 à 0,7 médecin disponible pour assurer leur prise en charge sanitaire. On est donc très loin du ratio exigé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui recommande qu’au moins trois médecins soient mobilisés pour 1000 habitants. De quoi donc inquiéter l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC), qui tire déjà la sonnette d’alarme, et en appelle à une action urgente de la part des pouvoirs publics.
L’OMS recommande environ 2,5 médecins pour 1000 habitants. Au Cameroun, nous sommes autour de 0,6 à 0,7 médecin pour 1000 habitants. Ça veut dire que les besoins sont énormes. Si nous devions employer tous nos enfants formés, il nous faudrait 10 à 15 ans pour combler nos besoins,
déplore le président du bureau du Conseil de l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC), Dr Rodolphe Fonkoua.
La situation est à ce point critique et préoccupante que le bureau de cette organisation corporative s’est réuni dans la ville de Bafoussam, le 14 mai 2025, pour y faire le point et inviter les instances décisionnelles à agir au plus vite, et dans l’urgence. L’ONMC regrette que des jeunes médecins, formés à des coûts très onéreux dans des écoles camerounaises, n’aient pas d’autre choix que de déserter leur pays pour s’installer sous d’autres cieux, où ils seraient mieux rémunérés. Une situation que déplorait déjà le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam), l’année dernière.
Le gagnant, ce sont ces pays développés de l’hémisphère Nord, principal preneur de ces ressources intellectuelles. Ces pays d’accueil n’ont pourtant déployé aucun effort pour la formation de ce personnel issu de l’émigration. A contrario, le grand perdant, selon l’Ordre, est le Cameroun et ses populations pourtant demandeuses en personnel soignant hautement qualifié. L’Ordre national des médecins du Cameroun craint même qu’au rythme actuel de départs, les Camerounais n’aient plus de médecins pour les soigner, d’ici peu.
Améliorer les structures d’encadrement pratique
L’Ordre envisage de saisir, de façon officielle, les autorités camerounaises dans les semaines à venir pour attirer leur attention sur la gravité de la situation.
Ce qui est plus grave, c’est la jeunesse, c’est-à-dire que c’est la pépinière de la nation qui s’en va. Or nous, qui sommes là, nous sommes sur le départ, c’est-à-dire vers la retraite. Figurez-vous que dans dix ans, autour de cette table, il y aura à peine peut-être cinq ou six médecins qui seront encore en activité,
L’autre sujet de préoccupation majeure pour les médecins concerne les conditions de formation au pays, notamment le cadre pratique. L’organisation envisage en outre un plaidoyer en vue de la multiplication des structures dédiées aux travaux pratiques des étudiants en médecine.
Au départ, nous avions une seule faculté de médecine, le CUSS, qui était adossé au CHU. C’est comme ça qu’on forme les médecins. Mais aujourd’hui, nous avons dix facultés de médecine, trois privées et sept d’Etat (…). Donc sur le plan pratique, c’est difficile d’être sûr de la qualité de l’encadrement au niveau pratique,
s’inquiète Dr Rodolphe Fonkoua, le président de l’ONMC.
Quand le patronat tirait la sonnette d’alarme sur la fuite des ingénieurs
Lors de sa rentrée économique, le 18 septembre 2024 à son siège à Douala, le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam) avait pour la première fois haussé le ton relativement à ce phénomène de fuite des cerveaux camerounais, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Se basant sur une étude menée par un membre du conseil d’administration de l’organisation patronale, Antoine Ndzengue, par ailleurs président de Neptune Holding Company, le Gecam présentait la note salée de l’immigration Canada.
En effet, rien qu’entre janvier et septembre 2024, le nombre de départs pour le Canada équivalait à celui enregistré durant toute l’année 2022, soit 6000 Camerounais partis dans l’espoir de trouver des opportunités d’emplois plus alléchantes. C’est presque la moitié de l’effectif enregistré en 2023, soit environ 11 700. Un chiffre record, qui n’est pas sans conséquences pour les entreprises, mais aussi pour l’Etat à qui incombe l’élaboration des politiques économiques plus attractives.
Lorsque ces jeunes, diplômés ou non, émigrent au Canada sans avoir contribué à minima à la régénération des richesses consommées, ou tout simplement pour valoriser l’investissement consenti sur eux, en vue d’assurer la soutenabilité du modèle économique national, ces investissements constituent des pertes sèches pour l’Etat. L’Etat du Canada, en embuscade comme le bon larron, habilement, profite de cet investissement sans y avoir contribué, et surtout, sans avoir déboursé le moindre sou,
dénonçait Antoine Ndzengue dans une tribune publiée dans l’édition nº002 du magazine APM.
Près de 500 milliards de F CFA de « pertes sèches » pour l’Etat camerounais
Ces pertes sont d’autant plus importantes que les talents qui émigrent auraient pu contribuer de manière substantielle, non seulement au développement technique, technologique et industriel de l’économie de la nation, sans oublier la nécessité de pérenniser son système éducatif et médico-social, mais aussi, contribuer à la création de richesses diverses au Cameroun à travers la création d’emplois, l’impôt sur le revenu, les taxes sur la consommation, et d’autres prélèvements fiscaux. Leur départ signifie une perte directe de revenus pour l’Etat,
poursuivait Antoine Ndzengue.
Pour le PDG de Neptune Holding Company, ce phénomène de fuite de cerveaux constitue
un véritable fléau national qui contribue à réduire, si ce n’est à détruire la capacité à innover dans le pays. L’innovation qui pourtant constitue de toute évidence le socle, le levier et le moteur de la croissance économique et sociale.
Selon cet opérateur économique camerounais, l’Etat dépense environ un million de francs CFA par an pour la formation d’un ingénieur, tous domaines confondus. A supposer que 22 000 ingénieurs quittent le pays après leur formation, les « pertes sèches » de l’Etat seraient évaluées à près de 45 milliards de FCFA.
Par Théodore Tchopa