Voilà huit jours que des sapeurs-pompiers, avec l’appui de volontaires, fouillent sans relâche sur le site de l’éboulement meurtrier survenu, le 06 novembre 2024 sur la falaise de Dschang, dans le département de la Ménoua, région de l’Ouest Cameroun. Selon plusieurs sources mobilisées sur le site, parmi lesquelles des confrères basés dans la région du « Soleil couchant », les recherches se font au moyen d’outils rudimentaires, comme les pioches et les pelles.
Résultat de ce déploiement pour le moins archaïque, voire anachronique, seulement douze corps ont été sortis des blocs de gravats à ce jour. Si de l’avis des services du gouverneur de l’Ouest, seulement 11 personnes ont été déclarées par leurs familles respectives comme étant portées disparues, au 09 novembre 2024, ce qui laisse présumer que seuls 11 macchabées seraient éventuellement encore engloutis sous les décombres, constituées de tonnes de blocs rocheux, d’autres sources évaluent à environ une cinquantaine, le nombre de personnes qui constituaient le fil d’attente lors de la survenue de la catastrophe.
Il faut rappeler que ce 06 novembre, de nombreux automobilistes et passagers avaient été contraints de constituer une file d’attente, alors que la route était encombrée par des blocs de terre, suite à un premier glissement de terrain. C’est pendant cette longue attente que survient le second éboulement, plus désastreux et dévastateur que le premier. C’est ce second détachement de blocs rocheux qui a enseveli un nombre important d’usagers, piétons et voyageurs confondus, qui attendaient que la voie soit dégagée, afin qu’ils puissent poursuivre leur route ou leur voyage.
Cordon de sécurité et cellule de crise
Or, c’est à ce niveau que les pouvoirs publics ont quelque peu failli. Selon des experts en gestion des catastrophes, les autorités auraient dû délimiter le site pendant que des engins enlevaient les déblais après le premier éboulement. Il aurait suffi, pour ce faire, de tracer un cordon de sécurité sur des centaines de mètres. Ces mesures de précaution auraient évité un très grand attroupement près du site où deux engins, aujourd’hui enfouis sous les décombres, opéraient. Malheureusement, déplore l’universitaire Pierre Moueleu, la prévention ne s’est pas bien passée.
En matière de gestion des catastrophes (…), lorsque la situation est déjà là, la première chose est de protéger la population, ou bien la circulation. Par exemple, créer une zone de sécurité, mais aussi, avant de faire intervenir des personnes sur le site, s’assurer que ces personnes ont reçu un briefing de sécurité de la part des spécialistes, et ont d’abord fait le tour sur place pour évaluer le risque ou l’ensemble des risques, (…) ont déterminé les niveaux d’échelle de risques, et les actions à mettre en place. Dans le cas d’espèce, a priori, on devrait déjà avoir un large périmètre de sécurité dans lequel ne pouvaient intervenir que des personnes suffisamment préparées et outillées, pas seulement dans la pratique qui est la leur, mais aussi dans la prévention des risques,
explique l’expert en questions environnementales, interviewé par radio Équinoxe.
Il souligne en outre la nécessité de la mise en place d’une cellule de crise dans le cadre de la gestion des événements malheureux comme la catastrophe de Dschang. Dans un passé récent, cette route très accidentogène a déjà été le théâtre d’au moins deux autres accidents aux lourds bilans. L’opinion nationale et internationale a encore en mémoire l’incendie d’un gros porteur suite à sa collision avec un camion transportant du carburant de contrebande, qui avait perdu sa direction. Au moins 30 personnes avaient perdu la vie, après avoir été gravement calcinées.
Lenteurs dans les secours et interventions
Globalement, la gestion des catastrophes au Cameroun pose un certain nombre de questions. Hormis le processus du déploiement et les premières mesures de sécurisation, à l’instar du cordon de sécurité déjà évoqué, il se pose également un problème de retard dans l’intervention. Pour le cas de l’éboulement meurtrier à la falaise de Dschang, la plupart des experts questionnent par exemple le temps mis pour déployer des engins sur le site. Or, ces lenteurs ont souvent pour conséquence, le décès de certains accidentés qui auraient pu être sauvés.
Il y a quelques mois, Album Social relevait déjà cette défaillance dans un article publié à l’occasion du premier anniversaire de l’effondrement d’un immeuble R+4 au lieu-dit derrière Mobil Guinness, sis au quartier Ndogbong, dans le cinquième arrondissement de Douala. Nous évoquions alors le cas d’une victime qui avait été retrouvée en vie 72 heures après l’effondrement, mais qui avait rendu l’âme, aussitôt parvenue à l’hôpital, du fait du temps mis avant son extraction des gravats. D’autres cas sont légion. Qu’il s’agisse de la catastrophe de Nsam, survenue le 14 février 1998, ou de la catastrophe ferroviaire d’Eséka, qui avait coûté la vie à 79 personnes (selon les sources officielles) et blessé 551 autres, le 21 octobre 2017, et la disparition de plusieurs autres passagers du « train de la mort »
Le col Batié et le rocher de Mbankolo : prévenir vaut mieux que guérir
Au Cameroun, la prévention des risques est une autre paire de manches. Dans le cas de la catastrophe de la falaise de Dschang, l’une des mesures annoncées dans l’urgence par les autorités compétentes est l’ouverture de la Nationale No3, notamment le tronçon Bafang-Bafoussam aux voitures en partance pour Dschang. Ces usagers sont désormais contraints de contourner sur de longues distances, soit plus du triple de la voie aujourd’hui hors de service à savoir Mélong-Santchou-Dschang.
Or, l’axe Bafang-Bafoussam, elle non plus, n’est pas une panacée. La route est jonchée de nids de poules et pattes d’éléphant. L’état de cette infrastructure est plus désastreux au niveau du col de Batié. Plusieurs experts craignent non seulement l’affaissement total de ce qui reste de la chaussée sur ce tronçon, et sa mise hors de service, du fait de la saturation de véhicules et de la pression qu’ils exercent sur le bitume, quand il existe.
A plus de 400 kilomètres de là, le rocher de Mbankolo, à Yaoundé, ne représente pas moins une menace. L’alerte est donnée par les centaines de familles qui résident en contrebas de cette montagne rocheuse. La montagne pourrait subir une forte érosion et s’effondrer en cas de longues précipitations comme celles de cette année, et infliger aux populations vivant à son flanc, le même sort que celui des victimes de la falaise de Santchou.
Or, la meilleure thérapie demeure la prévention, l’anticipation. C’est ce qui manque le plus à nos autorités. Comme le souligne le docteur Pierre Moueleu.
En matière de prévention, une structure comme celle-là (la falaise de Dschang) nécessite une visite régulière en termes de maintenance, et cela requiert des interventions de plusieurs compétences, notamment des géologues, et bien d’autres qui sont appelés donc pour des structures existantes, à faire des tests de temps en temps pour voir si la consistance est encore afin de prévenir les risques éventuels (…) Il se peut qu’il y a eu beaucoup d’alertes, mais jusque-là, c’est resté lettre morte et que la situation s’est présentée,
explique l’expert.
Il est vrai que l’université de Dschang a déployé, sur le site de l’éboulement de la falaise éponyme, une équipe de chercheurs conduite par le Pr Armand Kagou Dongmo, géologue. Cependant, cette initiative a été effectuée a posteriori. Au Cameroun, les structures en charge de la prévention des risques ne manquent pas. On peut énumérer la Direction de la protection civile, logée au ministère de l’Administration territoriale (Minat), le Plan d’organisation de la réponse de la sécurité civile (pour les évacuations et les recasements entre autres), la Défense opérationnelle du territoire, l’Organisation des Secours, le Comité de coordination du maintien de l’ordre, ou encore la Direction de la cartographie. Le problème réside donc dans le déploiement et l’utilisation efficiente de ces structures.