Mamajei fait partie de ces milliers de Camerounais, ressortissants des régions anglophones, qui paient le prix fort des conflits armés qui secouent cette partie du pays depuis décembre 2016. Le petit couloir qui mène à la petite chambre d’à peine 3 mètres carrés, où crèche la sexagénaire, en dit long sur la misère que vivent quotidiennement les déplacés internes, victimes collatérales de cette crise sécuritaire qui va bientôt entrer dans sa dixième année. Dès l’ouverture du petit portail bleu, qui cache de peu cette dèche (comme la face visible de l’iceberg), le visiteur doit enjamber des marches en bois qui descendent en pente douce jusqu’à la pièce située en zone de marécages. Ces planches usées par endroits sont posées au-dessus d’un drain d’où s’écoulent des déchets organiques visibles à travers les espacements de planches recouvrant le drain, ou plutôt le pont de fortune. Nous sommes au quartier Makèpè-Missokè, lieu-dit Entrée chefferie.
Le modeste habitat pouilleux en briques que Mamajei squatte avec son garçon, Christopher, âgé d’une trentaine d’années, est situé à moins de trente mètres du Centre d’accueil des déplacés du NOSO (Nord-Ouest et Sud-Ouest). Christopher et sa mère sont les seuls survivants de la famille nucléaire de cette veuve. C’est le premier né des trois enfants issus de son ménage. Les deux autres ont perdu la vie dans le conflit armé dans les deux régions anglophones du Cameroun. Mamajei ne peut dire, aujourd’hui, si ce sont les rebelles des groupes armés séparatistes, communément appelés « Amba boys », ou les soldats de l’armée régulière, qui ont ôté la vie à son époux et à deux de ses enfants. A cause de la sale guerre, les activités de la commerçante ont tourné au ralenti avant de s’interrompre brusquement. La plupart du temps, elle était obligée de se cacher sous le lit pour se protéger contre les balles.
Traumatisée par la guerre
N’en pouvant plus, la vieillarde de 63 ans a fini par trouver refuge à Douala avec son fils Christopher, lui aussi miraculé. Car lassée par le climat de terreur prévalant dans la ville de Kumba, où elle vivait paisiblement jusqu’à ce que surviennent les hostilités. Les balles sifflaient partout, se souvient-elle, encore sous ses traumatismes.
Je suis partie de Kumba en 2019, puis je suis venue ici (à Douala). Quand j’étais à Kumba, il y avait toujours des coups de feu. On tirait partout. Ces sifflements et ces crépitements de balles me faisaient beaucoup de peine. (…) je suis veuve à cause de cette guerre. Mon homme est décédé ainsi que mes deux enfants. Il n’y a que moi et cet enfant qui sommes en vie. Je n’ai personne ni devant, ni derrière moi,
confie la veuve en montrant du doigt son fils Christopher, qui squatte la même chambre.
Au moment où nous y arrivons, le jeune homme, vêtu d’un tricot sombre à rayures horizontales, est allongé à même le sol, la tête légèrement posée sur l’arrière du lit de sa mère. C’est à peine si nous parvenons à distinguer sa silhouette ou à le détailler dans la pièce étroite et sombre, la lumière du jour n’y parvenant pas. Les murs d’un bleu défraîchi sont recouverts de moisissure. La mère, elle, est assise sur une chaise en plastique disposée près de la porte. Elle n’en a vraiment pas le choix, au regard de l’étroitesse de la pièce. Mamajei mange une espèce de taro appelée « ibo coco ». Faute de sauce ou de légume, elle se contente de le déguster ainsi. Des bouteilles de jus naturel posées à même le sol, près du lit, contiennent de l’eau pour la consommation. Quelques photos accrochées au mur, au fond de la pièce, relatent la vie d’une fervente chrétienne, engagée à l’Eglise Presbytérienne (Presbyterian Church). Une vie qui s’est effondrée, puisqu’aujourd’hui, la croyante, qui croupit sous le poids de l’âge et de sa large corpulence, a une mobilité réduite. Elle est malade et se déplace péniblement dans la pièce.
Christopher, le seul rescapé des enfants, accidenté dans un chantier
La survie au quotidien de la mère et du fils relève d’une gageure. Voire du miracle. Christopher se meut péniblement depuis qu’il a chuté du haut d’une dalle, alors qu’il effectuait un travail de manœuvre dans un chantier de construction pour gagner son pain quotidien. Pour se déplacer, lui aussi doit s’appuyer contre un support, l’accident ayant causé une grave fracture au pied. Mamajei s’en remet au bon Dieu, qui l’a gardée en vie pour lui permettre de voir cette matinée du 23 décembre 2024. Elle ne jure que par le nom de « papa » Chief Mofor, le fondateur du Centre d’accueil des déplacés du NOSO, qui aurait pu être son propre fils. C’est grâce aux efforts de ce jeune fondateur que la vieille brave les défis d’un quotidien toujours incertain.