Dans une rue de Damas à Yaoundé, Viviane 26 ans, relit pour la énième fois les conditions d’éligibilité au concours de la Douane. Titulaire d’un master en sciences économiques depuis trois ans, elle n’a jamais exercé le métier pour lequel elle a étudié.
C’est peut-être ma dernière chance,
souffle-t-elle.
Comme elle, des dizaines de milliers de jeunes Camerounais ont accueilli avec soulagement l’annonce du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Minfopra) : plus de 2 000 postes sont à pourvoir dans la Fonction publique. Une annonce qui fait rêver, mais qui inquiète.
En effet, le 15 avril 2025, le Minfopra a rendu publics 48 arrêtés annonçant l’ouverture d’une série de concours pour l’exercice budgétaire 2025. Un total de 2 110 postes est à pourvoir, répartis entre concours directs, concours de formation, concours professionnels et tests de sélection. Cette annonce intervient dans un contexte marqué par un fort taux de chômage chez les jeunes diplômés, dans un pays où les opportunités d’emplois restent largement en deçà de la demande.
Les concours concernent plusieurs catégories de recrutement. D’après les documents officiels du Minfopra, 910 postes sont prévus pour les concours directs, notamment dans les corps des Régies financières (douanes), des Mines, de la Santé publique, du Génie civil, de l’Elevage, de la Communication, ou encore de l’Environnement. Ces concours sont ouverts aux titulaires d’un diplôme requis, et visent un accès direct à la Fonction publique.
Par ailleurs, 410 places sont affectées aux concours de formation dans des institutions telles que l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (Enam), l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (Injs), les Centres nationaux de la jeunesse et des sports (Cenajes), et l’Institut sous régional de statistique et d’économie appliquée (Issea). Le ministère prévoit également 235 postes à pourvoir par tests de sélection pour les agents de l’État régis par le Code du travail, notamment dans les spécialités en environnement, rééducation et enseignement technique. Enfin, 555 postes sont réservés aux concours professionnels destinés aux fonctionnaires en activité.
Bien que ces concours offrent une opportunité réelle d’insertion professionnelle pour plusieurs centaines de personnes, ils restent insuffisants au regard des besoins du marché. Le Cameroun est confronté à un taux de chômage élevé, notamment chez les jeunes diplômés. Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS) publiées en 2024, le taux de chômage chez les jeunes de 15 à 35 ans est estimé à 13,2%, et celui du sous-emploi est supérieur à 75%, notamment en milieu urbain.
Chaque année, les universités publiques et privées du pays délivrent en moyenne plus de 150 000 diplômes. Mais peu d’entre eux débouchent sur un emploi stable, notamment dans le secteur formel. Le déséquilibre entre le nombre de diplômés et les possibilités d’intégration dans la Fonction publique ou le secteur privé est donc une réalité structurelle.
Une forte attractivité pour des postes très disputés
L’engouement pour les concours de la Fonction publique ne cesse de croître. En 2023, plus de 270 000 candidats se sont inscrits aux concours de recrutement pour un peu moins de 2 000 places. Ce ratio élevé montre la forte compétition entre candidats et traduit le manque d’alternatives pour les jeunes diplômés. La stabilité de l’emploi public, l’accès à une couverture sociale, et les garanties de carrière expliquent en grande partie cet attrait. Les concours deviennent alors un objectif prioritaire pour une grande majorité de jeunes sans emploi, qui y voient l’une des rares opportunités viables d’insertion.
L’inadéquation entre les filières de formation universitaire et les besoins réels du marché du travail constitue un autre obstacle majeur. De nombreux diplômés sortent des universités avec des compétences peu alignées avec les secteurs porteurs ou les postes vacants dans l’administration. Le manque de programmes de formation professionnelle adaptés, ainsi que la faiblesse des politiques de transition entre école et emploi, renforcent cette situation. Les secteurs techniques, industriels et agricoles, bien que porteurs d’emplois, peinent à attirer les jeunes diplômés, en raison du manque de valorisation de ces filières, et de l’insuffisance des infrastructures de formation.
Plusieurs initiatives ont été mises en place par les pouvoirs publics pour favoriser l’insertion des jeunes diplômés. C’est le cas du Programme d’appui à l’insertion des jeunes diplômés (PAIJD), du Plan triennal spécial jeunes, ou encore du programme PIAASI (Programme intégré d’appui à l’auto-emploi des jeunes). Toutefois, leur impact reste mitigé, notamment en raison d’une couverture encore faible par rapport à la demande, du manque de financement pérenne, et des difficultés de mise en œuvre sur le terrain.
Des efforts à renforcer pour une meilleure absorption
Le lancement de ces concours constitue donc une avancée importante en matière de renforcement des effectifs dans l’Administration publique, mais leur portée reste limitée dans un contexte de pression démographique et de massification de l’enseignement supérieur. Pour être efficaces à moyen et long termes, les experts pensent que ces mesures devront être accompagnées d’une véritable politique d’orientation professionnelle, d’un meilleur dialogue entre les universités et les secteurs productifs, et d’une mise à niveau des dispositifs de formation professionnelle.
Parce que, derrière chaque candidat, c’est souvent une famille entière qui espère. Les parents, parfois retraités ou en fin de carrière, vendent des terrains, s’endettent pour payer les cours préparatoires, les frais de dossier, les déplacements.
Mon père est en train de se battre pour m’envoyer les frais de constitution du dossier. Il met fait tout pour que je réussisse. J’espère pouvoir sortir ma famille de la misère un jour,
témoigne Viviane les yeux larmoyants.
Justement, cette pression sociale pèse lourd sur les épaules des jeunes. En cas d’échec, c’est l’humiliation. Certains sombrent dans la dépression. D’autres disparaissent, évitant même les réunions de famille. Le rêve de devenir « fonctionnaire », autrefois synonyme de prestige, est devenu un objectif de survie. Alors que les candidats se préparent à affronter les épreuves, les données disponibles rappellent une vérité incontournable : 2 110 postes pour des dizaines de milliers d’attentes.