Les lames des tondeuses immobiles, les moteurs des congélateurs à l’arrêt, les écrans éteints. Dans les rues de Yaoundé, par exemple, l’électricité joue un peu plus aux abonnés absents, plongeant les ménages et les petits commerçants dans une incertitude pesante. Arsène, coiffeur au quartier Damas, est à bout de nerfs. Sa petite boutique ne désemplissait pas, il y a encore quelques semaines. Aujourd’hui, ses ciseaux et ses peignes restent posés sur son comptoir.
Tout mon matériel est électrique. Sans courant, comment voulez-vous que je coiffe ?
se lamente-t-il.
Chaque jour sans électricité, c’est une perte sèche: les clients finissent par aller ailleurs, là où un générateur fonctionne, mais Arsène n’a pas les moyens d’investir dans une telle machine.
Quelques rues plus loin, Benoît Ngassa, poissonnier au marché Nsam, contemple une cargaison de poissons avariés. Trois jours sans électricité ont eu raison de son stock. Les effluves nauséabonds s’échappent de ses congélateurs, désormais inutiles. Il a investi cinq ans d’économies pour lancer son affaire.
Eneo exagère ! Comment peut-on travailler dans ces conditions ?,
s’indigne-t-il,
le regard vidé par l’inquiétude.
Si Arsène et Benoît luttent pour survivre, Maïmouna, vendeuse de glaces, toujours au marché Nsam, se retrouve elle aussi prise au piège. Son congélateur est devenu un coffre inutile, incapable de transformer l’eau en glace.
Quand il n’y a pas de courant, mes sachets ne gèlent pas, et quand il revient, c’est trop tard, mes clientes sont déjà parties,
se plaint elle.
Maïmouna, qui doit verser chaque mois sa cotisation à une tontine, se demande comment elle tiendra encore.
Dans les marchés, les bouchers peinent à conserver leur viande, les secrétariats ferment plus tôt, et les imprimeurs croulent sous les commandes en retard.
Les clients nous confient des travaux urgents, et nous, on attend la lumière comme on attend la pluie en saison sèche,
soupire un gérant de cyber à Nlongkak.
À Obam, Franck a flairé le bon filon. Il possède une lampe solaire rechargeable et propose aux habitants de recharger leurs téléphones à 50 FCFA, la demi-heure. Chaque soir, une file se forme devant sa boutique, preuve que l’électricité est devenue un luxe.
Un pays plongé dans le noir
Yaoundé, Douala, Bafoussam, Bamenda…Aucune ville n’est épargnée. Des familles entières passent la nuit dans l’obscurité, des élèves révisent à la lueur des bougies, alors que les examens approchent. Dans certains quartiers, l’eau vient aussi à manquer, les forages électriques étant hors service.
Eneo, l’entreprise en charge de la distribution d’électricité, se dédouane. Le réseau est vétuste, la fraude massive, et les infrastructures doivent être modernisées. Pourtant, les Camerounais ne veulent plus d’excuses. Sur les réseaux sociaux, des pages de dénonciation fleurissent. Les internautes réclament des explications, et certains demandent même le départ des dirigeants du secteur énergétique. Combien de temps encore tiendront-ils dans l’obscurité ?