À chaque feu rouge, ils apparaissent. De jeunes enfants, pieds nus, vêtements usés, tendant la main avec insistance. Certains portent sur leur dos des cadets à peine plus âgés qu’un nourrisson. D’autres, plus audacieux, courent entre les voitures, quémandant quelques pièces. Dans les grandes métropoles camerounaises, la mendicité infantile n’est plus une scène isolée. Elle est même devenue une réalité sociale préoccupante, illustrant la détresse de nombreuses familles plongées dans la misère. Maimouna, une jeune fille de 12 ans, passe ses journées à arpenter les rues du centre-ville de Yaoundé. Nous l’avons approché avec quelques présents.
Elle raconte, la voix hésitante :
je viens ici chaque matin. Parfois, je peux rentrer avec 1000 francs CFA, parfois rien. Ma mère me dit que si je ne ramène pas d’argent, on n’aura rien à manger,
raconte-t-elle.
Fatima, sa mère, confirme à demi-mot la dure réalité de son foyer :
je suis seule avec mes enfants. Je fais des ménages quand je peux, mais ce n’est pas suffisant. Alors, on survit comme on peut,
affirme-t-elle.
Comme Maimouna, des centaines d’enfants errent chaque jour dans la ville, exposés aux dangers de la circulation, à la violence des rues et aux abus. Certains dorment même à la belle étoile, sans savoir de quoi sera fait le lendemain.
Pauvreté et exploitation
La mendicité infantile est très souvent la conséquence de la pauvreté extrême. Dans certaines familles, envoyer les enfants mendier devient une nécessité. Mais d’autres réalités plus sombres existent.
Nous avons constaté que certaines familles louent même leurs enfants à des réseaux de mendicité organisés,
explique un expert d’une organisation humanitaire sous couvert d’anonymat.
Ces enfants sont exploités et doivent reverser une partie de leurs gains à des adultes qui les surveillent,
précise-t-on.
Le phénomène est parfois aussi culturel. Dans certaines communautés, les enfants talibés, envoyés en ville sous prétexte d’apprentissage religieux, finissent dans la rue à quêter leur subsistance sous l’autorité de personnes peu scrupuleuses. Pourtant, les conséquences psychologiques de cette vie d’errance sont désastreuses. Selon Sonia Kouepou, psychologue à Yaoundé,
un enfant qui grandit dans la mendicité développe un sentiment d’exclusion et un manque d’estime de soi. Il se sent rejeté par la société et perd tout espoir d’un avenir meilleur. À long terme, cela peut mener à des comportements délinquants ou à des traumatismes profonds,
alerte-t-elle.
L’exposition à la violence est aussi un facteur aggravant. Dans la rue, ces enfants sont souvent victimes d’agressions, d’exploitation et même de trafic humain. Le Code pénal camerounais est pourtant clair : la mendicité organisée est interdite et l’exploitation des enfants est passible de sanctions. L’article 246 du Code pénal punit « quiconque incite un mineur à la mendicité ».
Mais sur le terrain, l’application de ces lois reste limitée. Les arrestations sont rares et les réseaux continuent d’exploiter ces enfants en toute impunité.
Il faudrait des mesures plus fermes,
déclare Me Ndongo, un avocat du barreau de Yaoundé
Mais aussi des politiques sociales pour aider les familles en détresse et éviter que ces enfants ne finissent dans la rue,
ajoute-t-il.
Faire appliquer la loi
D’autres experts préconisent, au vu de la situation actuelle, l’application du dispositif répressif en vigueur au Cameroun. Un avis que partage l’avocate des droits des femmes, enfants et personnes handicapées, Diane Tchomalogne.
Le trafic d’enfants, la traite d’enfants, l’exploitation économique des enfants sont des infractions,
explique-t-elle.
L’exposition croissante des enfants à diverses formes de danger a amené les pouvoirs publics à mettre sur pied depuis 2016 une plateforme nationale de protection de l’enfant.
Loin de l’école, privés de soins, confrontés à la rudesse de la rue, ces enfants voient leurs chances d’un avenir meilleur s’amenuiser, jour après jour. La mendicité n’est pas qu’un combat quotidien pour survivre ; elle est une condamnation à une vie de précarité et de marginalisation. Alors que les lumières de la ville s’allument et que les rues se vident, eux restent là, invisibles aux yeux de la société. Demain, au lever du jour, ils seront de retour, tendant la main, espérant une pièce, un regard, une chance.