L’idée d’écrire ce livre m’est venue de ce que je suis d’une part, moine et formateur ; et de ce qu’entre autre je fais d’autre part, l’écoute, l’accompagnement spirituel au Monastère. Comme moine, je ne suis avant tout qu’un homme de prière. La prière est mon métier, ma profession, dirais-je. En principe, je suis supposé avoir développé, pour ainsi dire, quelques compétences professionnelles à ce sujet. Mais, parce que c’est un sujet atypique, on y est toujours en quelque sorte commençant, c’est-à-dire pas si professionnel que ça ! On en vient cependant à en faire un centre d’intérêt particulier, ardent, vivant. A ce titre, j’ai développé une passion qui devenait de plus en plus communicative…
« Notre Dieu est le Seigneur de l’Alliance »
Mais la motivation la plus profonde m’est sans doute venue de l’humble ministère d’écoute et d’accompagnement spirituel ayant permis de toucher du doigt, les difficultés des chrétiens et autres personnes consacrées. Cette expérience d’écoute, et une certaine connaissance de la vie de l’Eglise ici et ailleurs, me firent faire le constat que beaucoup de chrétiens réservent un mauvais sort à la prière, la vraie prière. De celle-ci, je n’en entends pas une prière élitiste, complexe, à usage professionnel, mais une prière qui va à l’essentiel, qui touche ce qui est substantiel, et pour cette raison, une prière ouverte, plus humainement, plus spirituellement et intérieurement structurante. Une prière vitalisante, permettant une vraie rencontre avec le Dieu vivant qui nous aime le premier.
Car, que vaut vraiment une prière qui ne vous donne pas de rencontrer personnellement Dieu, de vous unir à lui qui s’est uni à nous? Notre Dieu est le Seigneur de l’Alliance, et comme tel, il veut demeurer en nous pour que nous demeurions en lui. Lui-même nous l’a dit: « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui », (Jn14, 23). C’est le Dieu qui vient, le Dieu des visitations intimes, qui nous cherche, désirant trouver en nous, une place toujours plus digne de lui. Sur ce plan, il essuie une redoutable concurrence: nous occupons toute la place, en nous mettant au centre de tout, et de plusieurs manières. La croissance dans la prière n’est pas une croissance autocentrée… Elle est l’art de faire place nette, de se décentrer pour qu’un Autre, Dieu, vive toujours plus en nous que nous-mêmes.

Un tel Dieu n’est pas prenable par une formule ésotérique, ou par la pratique surchargée et surannée de simples dévotions, mais par une soif, un désir mystique, c’est-à-dire qui mobilise la totalité de notre personne, l’intégralité de ce que nous sommes, corps, cœur, intelligence, volonté, etc. Ce livre voudrait aider à libérer en nous un tel désir, habituellement obstrué par tant de déchets, ensablé par tant de choses ou idoles, auxquelles nous donnons pratiquement la place de Dieu.
La croissance spirituelle dont la prière est normalement le moteur, se nourrit d’un désir libéré, phosphorecent, qui sait chercher Dieu dès l’aube… Prier consiste à entrer en contact avec ce désir, à y faire fond! Nous nous laisserons alors aimer, revitaliser, parce que nous nous serons rendus disponibles, par la foi et l’amour, à «connaître le Christ et la puissance de sa résurrection.» Il faudra pour cela avoir patiemment assez d’ambition pour briser notre suffisance. Avoir assez d’ambition pour neutraliser les fausses ambitions, et garder le désir au frais, dans un cœur toujours mieux désirant, écoutant, au gré de la grâce divine.
« La prière assidue nous rend apte à écouter »
On ne peut mieux prier un Dieu dont on n’a pas soif. Il faut que mon âme ait soif du Dieu vivant ! Pareille soif, pareil désir s’éduque au quotidien, dans les évènements: il nécessite une hygiène qui le libère de divers agents pathogènes. Il s’éduque par le silence qui est le climat où s’épanouit une telle prière. Il s’éduque par la connaissance de Dieu, puisée dans sa Parole que la prière assidue nous rend apte à écouter.
Le livre pousse à sortir des sentiers trop battus, de la routine desséchante, sclérosante. Je voulais par lui stimuler le désir d’apprendre vraiment à prier, en prenant, dans la même foulée, à connaître ce Dieu qui n’est connaissable qu’à la mesure où on apprend à ne rien préférer à son amour. Mon vœu le plus cher est que les chrétiens puissent grandir, devenir adultes, sans complexe. Qu’ils ne soient plus de simples touristes ou consommateurs de la « piété », qui s’infantilisent ou qu’on infantilise. Que Dieu ne soit pas si rare dans leur vie; qu’ils reflètent une image moins mauvaise de lui, de l’Eglise, et d’eux-mêmes.
Etienne Harding MBOULE, ocso, Monastère de Koutaba