Dans les établissements secondaires de la ville d’Ebolowa, dans le Sud-Cameroun, un sujet tabou s’est invité dans les salles de classe : la violence psychologique exercée par les manipulateurs narcissiques. Portée par l’Association pour l’Encadrement et le Soutien des Victimes des Narcissiques Pervers (Asvinp), cette campagne de sensibilisation vise à outiller les jeunes filles face aux dynamiques d’emprise et aux relations toxiques.
Du Lycée bilingue d’Essinguili au Lycée classique et moderne d’Ebolowa (Lyclamo), plusieurs établissements ont accueilli l’équipe pluridisciplinaire de l’Asvinp. Médecins, pairs éducateurs et encadreurs ont mené des causeries éducatives auprès des élèves de 3e, 2nde, 1ère et Terminale.
Il n’y a pas un apport pour rien, surtout quand vous venez sensibiliser nos élèves. Nous aurions aimé répéter des expériences de ce genre, pourquoi pas chaque semaine ,
a déclaré Louis Paul Mbozo’o, proviseur du Lycée Bilingue d’Essinguili.
À travers des discussions ouvertes, l’Asvinp a encouragé les jeunes filles à s’exprimer sur les représentations sociales et les pressions qu’elles subissent. Certaines ont pris la parole pour dénoncer les stéréotypes et les rôles imposés.
La femme est toujours au second rang, en train d’emboîter le pas à l’homme. Il est temps que l’une d’entre nous ouvre la voie pour celles qui vivent encore dans le silence,
a affirmé Esperanza, élève en classe de 1ère.
Pour Geneviève Ngo Ntamack, présidente-fondatrice de l’Asvinp, cette rencontre avec la jeunesse est essentielle :
Je suis heureuse de m’être retrouvée face à un public très informé. Grâce à la digitalisation, ces jeunes filles ont accès à beaucoup d’informations, mais il est essentiel de structurer leur compréhension.
Un phénomène silencieux et sous-estimé
Au Cameroun, les violences psychologiques exercées par des pervers narcissiques semblent largement ignorées par les politiques publiques. Les victimes évoluent dans l’ombre, souvent sans soutien, ni compréhension. Pourtant, des faits divers récents ont mis en lumière la gravité du phénomène. Le cas médiatisé d’Hervé Bopda, héritier d’une famille influente de Douala, a choqué l’opinion. Accusé de violences sexuelles, physiques et psychologiques sur plusieurs femmes, il aurait usé de stratégies d’intimidation et d’emprise pour maintenir ses victimes dans le silence. Celles-ci ont commencé à témoigner après des années de souffrance, révélant les méthodes de domination mentale auxquelles elles étaient soumises.
Face à cela, l’Asvinp s’est également illustrée lors du défilé du 8 mars 2025 à la place des fêtes de Nko’ovos, toujours à Ebolowa, en mobilisant des survivantes de violences psychologiques. Drapées dans le pagne officiel de la Journée internationale des droits des femmes, elles ont défilé avec dignité, suscitant de nombreuses réactions. Une manière forte de briser le silence en public et de porter haut les voix trop souvent étouffées.
Selon les experts, l’accompagnement des victimes semble encore fragile. Au regard de ce vide institutionnel, des associations comme l’Asvinp deviennent des piliers pour les victimes. À travers des groupes de parole, des consultations psychologiques et des actions de sensibilisation, l’Association offre un espace d’écoute et de reconstruction.
Le manipulateur narcissique est capable de vous amener à vous immoler sans que vous ne vous en rendiez compte », alerte Geneviève Ngo Ntamack. « Comprendre les mécanismes d’emprise est la première étape pour s’en sortir,
indique-t-elle.
Une mission nationale et inclusive
Si la campagne d’Ebolowa est une étape marquante, l’Asvinp entend étendre son action à l’ensemble du territoire. Son objectif est clair : informer, prévenir, écouter et accompagner. D’autres villes sont déjà ciblées pour de futures campagnes de sensibilisation dans les lycées, les universités, les milieux associatifs et religieux.
L’Association travaille également à la formation de pairs éducateurs capables d’intervenir au sein des communautés pour détecter les situations à risque, et orienter les victimes vers des soutiens appropriés. Dans cette lutte contre les violences invisibles, l’Asvinp agit sur trois leviers : découvrir les réalités silencieuses que vivent les femmes, compatir avec les victimes en leur offrant une écoute bienveillante, et inspirer des parcours de résilience qui redonnent foi et force à celles qui se relèvent.
En marchant aux côtés des victimes, et en réveillant les consciences dès le plus jeune âge, l’Asvinp impose une présence douce mais ferme sur le terrain. Parce qu’il faut parfois briser l’emprise pour reconstruire des vies.