Sous le nom Synergie Groupe Pharmaceutique Importation et Distribution en gros des produits pharmaceutiques, une structure clandestine écoule des médicaments sans aucun agrément, en usurpant un arrêté fictif daté du 20 janvier 2025. Derrière cette manipulation, la fausse identité d’une entreprise bénéficiaire d’un agrément réel, celle de Douala, légitimée depuis le 21 novembre 2019. Plus qu’une simple escroquerie, c’est un signal d’alarme. Derrière ce cas précis se cache une réalité bien plus inquiétante. Selon une étude publiée dans American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, 27 % des médicaments analysés sur le marché camerounais, principalement des antibiotiques et antipaludiques sont de qualité médiocre, impropres à un usage sécuritaire.
Ces données reposent sur l’analyse de 1 440 échantillons, dont deux tiers provenaient du circuit informel. Loin d’être une statistique abstraite, ce pourcentage représente un risque économique, sanitaire et moral : des patients traités pour une maladie reçoivent un placebo, ou pire, un produit toxique. La gravité du phénomène a atteint un pic dramatique en 2023, avec la tragédie du sirop Naturcold. Importé illicitement, ce produit contenait du diéthylène glycol à 28,6 %, soit près de trois cents fois au-delà du seuil tolérable.
Au moins six enfants ont perdu la vie dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest après avoir ingéré ce falsificat. Les autorités sanitaires camerounaises, appuyées par l’OMS, ont confirmé l’absence d’autorisation de ce produit et sa commercialisation par des circuits illégaux. Voilà la réalité : les médicaments falsifiés tuent, au lieu de guérir.
Une contrefaçon sophistiquée
Le réseau de Maroua reproduit des méthodes déjà observées ailleurs : usurpation d’identité, faux arrêtés, emballages trompeurs, insertion dans des pharmacies rurales mal équipées en contrôles qualité. À Douala, plusieurs cas de produits provenant de vendeurs informels ont été dénoncés, mettant en lumière une coordination quasi invisible entre circuits illicites et structures vulnérables. Sur le plan réglementaire, le Cameroun dispose des armes pour riposter : obligation d’agrément pour les distributeurs, inspections aléatoires, sanctions administratives et pénales, destruction de contrefaçons. Déjà en 2017, les douanes avaient saisi et détruit 60 tonnes de faux médicaments, estimés à 80 000 dollars. Mais ces interventions demeurent largement confinées aux grandes villes. Maroua, comme d’autres zones périphériques, reste un territoire à risque, exposé à des réseaux moins visibles et donc moins contrôlés.
Les experts pensent que, pour endiguer ce trafic, les professionnels doivent adopter un réflexe de vigilance systématique. Or aujourd’hui, ce réflexe demeure inopérant faute d’outils de vérification disponibles sur le terrain. Les professionnels locaux expriment le besoin de plateformes simples, accessibles depuis un téléphone, capables de confirmer l’identité d’un grossiste et la validité d’un agrément. Ce travail de terrain, encore trop timide, gagnerait à être soutenu par des investissements numériques et une sensibilisation des pharmacies rurales.
Le Cameroun a franchi un pas en ratifiant en octobre 2021 le traité instituant l’Agence africaine du médicament (AMA), qui vise à créer un système continental de traçabilité et d’authentification pharmaceutique. C’est un fondement prometteur. Mais sa portée dépendra de la capacité du pays à implémenter des registres électroniques nationaux à jour, à multiplier les inspections sur l’ensemble du territoire, et à réussir un partenariat entre l’État, les pharmaciens et les consommateurs.
Maroua ne peut plus être considéré comme un cas isolé. Le trafic de médicaments contrefaits est un phénomène national, enraciné dans l’informalité, la faiblesse des contrôles et l’absence de traçabilité. Derrière chaque médicament falsifié, il n’y a pas juste un commerce illicite. Il y a un risque mortel. Un risque évitable.