Quel bilan faites-vous des travaux de Yaoundé ?
On peut retenir que la Responsabilité sociétale des entreprises est importante en Afrique. Elle est importante pour les entreprises africaines. Cependant, le constat est aussi que la RSE n’a pas encore pris la place qu’elle mérite pour plusieurs raisons : le contexte réglementaire n’est pas assez fort, les parties prenantes ne sont pas très exigeantes, il y a des clients qui peuvent ne pas aller très loin pour se tourner vers des produits des entreprises alignées sur des questions de durabilité. Nous avons des éléments comme ceux-ci qui contribuent à ce que la durabilité ne se déploie pas assez en Afrique.
En quoi est-il important d’intégrer le secteur informel dans les politiques RSE ?
Lorsqu’on parle de la question de l’informel, on fait comme s’il était déconnecté du formel. L’informel est soit le début, soit la fin des chaines de valeur de certaines entreprises. Je prends l’exemple du secteur agroindustriel où vous pouvez acheter une bouteille d’eau produite par une entreprise formelle dans une boutique informelle. Vous pouvez acheter des produits de consommation dans des circuits informels mais, qui sont produits par des entreprises formelles. Donc, face à ce constat, il faut faire le lien. Comme c’est leur chaine d’approvisionnement, comment elles s’organisent, comment elles se structurent pour intégrer ces parties prenantes-là ? Il est important de répondre à cette question.
Dans le cadre du secteur des télécommunications par exemple, nous avons suggéré que les distributeurs soient fédérés en coopérative. Cela donnera un statut formel à la coopérative. C’est donc cette coopérative-là qui pourra discuter ou dialoguer avec l’entreprise. Nous aurons dans ce cas deux structures formelles qui collaborent. Cela permettra d’améliorer les relations et le partage de la valeur ajoutée des différentes parties prenantes, y compris justement de l’informel.
Comment la RSE peut-elle impacter les objectifs de développement durable ?
Aujourd’hui, dans le cadre de la stratégie de la Responsabilité sociétale des entreprises, celles-ci se positionnent sur les ODD (Objectifs de développement durable ndlr), parce qu’ils ont un côté très opérationnel. C’est-à-dire qu’à partir de là, une entreprise peut choisir de se positionner sur tel ou tel autre Objectif de développement durable. L’Etat doit, dans le cadre de cette politique RSE, faciliter ou inciter les entreprises à se positionner sur ces Objectifs ou sur les secteurs prioritaires qu’il a cartographiés dans le cadre de la Stratégie nationale de développement.
Quels sont les enjeux des RSE dans le contexte camerounais ?
Les RSE s’imposent aux entreprises camerounaises, aux filiales de multinationales. Non seulement, cela s’impose à elles mais, elles ont aussi l’obligation d’élargir cette exigence des RSE à leur chaine d’approvisionnement ou de distribution. Les entreprises camerounaises qui font des affaires avec ces multinationales, vont perdre leurs différents contrats, si elles ne s’engagent pas sur ls RSE.
Y a-t-il en Afrique des modèles de politique RSE qui peuvent inspirer ?
Aujourd’hui en Afrique, nous avons le Maroc, engagé sur les questions de la durabilité, qui exige un certain nombre de pratiques. Nous avons la Tunisie, l’Île Maurice… dans l’Afrique francophone. Nous avons d’autres pays d’Afrique francophone qui ont mis en place des lois qui peuvent avoir une connexion très forte avec l’économie internationale. Même au Cameroun, pour certains secteurs comme le secteur forestier qui est très connecté à l’international. C’est-à-dire qu’il faut intégrer les critères de RSE pour avoir la possibilité d’exporter les produits. Vous ne pourrez pas accéder à certains marchés sans satisfaire à cette exigence.
Que peut apporter une initiative comme le Fiprod dans l’implémentation des politiques RSE au Cameroun ?
J’ai vu qu’il y a plusieurs cadres de ministères, nous avons l’Ohada qui regroupe et chapote 17 pays, ce qui est exceptionnel. Si à l’issue de ceci, on prend la démarche à bras le corps et qu’on met en place ce qu’il faut, ça va. Ma seule interrogation aujourd’hui, c’est qu’on ne va pas assez vite, assez loin à cause des lourdeurs qu’on connait dans le contexte. Cette lenteur ne fait pas avancer les choses comme il faut. Il n’est plus simplement question de faire, il faut bien faire et vite. Et, c’est là le challenge pour l’Afrique où le processus est lent, où on prend du temps. Les autres n’attendent pas, et du coup, même au Cameroun, la RSE se déploie parce que c’est l’extérieur qui pousse, via notamment les entreprises multinationales.
Que faire pour que la RSE ne soit pas une réalité importée au Cameroun ?
Le slogan est bon de l’indigénisation de la RSE tel que brandi, est bien. C’est intéressant de parler, ça sonne, ça accroche. Mais la réalité, c’est que la RSE est déjà en marche. Maintenant soit, on rattrape cela dans le pays en mettant en place une loi qui va expliquer aux acteurs comme cela se passe dans notre contexte, pour que les entreprises locales s’y alignent, soit on fait des débats, ou on brandit des slogans intéressants. Quand bien même l’on veut définir une politique RSE pour les multinationales présentes au Cameroun, l’on ne s’encombre pas de savoir si le Cameroun est engagé ou pas dans une démarche. Et même toutes les dynamiques qu’on fait dans la RSE à l’international ont des répercussions extraterritoriales, et donc, s’appliquent partout. Même si les filiales présentes au Cameroun ne l’appliquent pas, elles rendent compte. Donc, il faut qu’on ait la loi. Il faut qu’on réfléchisse sur la RSE dans notre contexte, qu’on structure, qu’on sensibilise et forme les parties prenantes. C’est tout cela qui va permettre que la mayonnaise de la RSE puisse prendre dans le pays.
Propos recueillis par Gaïtano TSAGUE